Poil de carotte, replay

d'après Jules Renard. Teaser en ligne.
Depuis 2015 la Senna’ga compagnie s’inscrit dans une démarche particulière. L’équipe artistique travaille sur des champs thématiques. Un chantier de création s’ouvre sur le thème de la famille. Trois œuvres contemporaines ont été créées.
En 2020 un nouveau cycle de travail se met en route autour de l’identité, la relation parent-enfant, la place dans la famille et le pouvoir à la maison.
Nous abordons une recherche et une écriture autour de « Poil de carotte». Agnès Pétreau enquête sur ce personnage, avatar de papier de Jules Renard. La pièce de théâtre « Poil de carotte », comédie réaliste publiée en 1900 et « Le Journal » de Jules Renard apportent un éclairage supplémentaire sur l’enfant que l’auteur a été. La recherche consiste à comprendre comment Jules Renard a reconstitué son identité ou pas, après une enfance en déshérence d’amour, rejeté par sa mère qui le maltraite et un père absent. A partir de cette matière littéraire, Agnès Pétreau invente une fiction, une mise en abîme de son propre travail. Une auteure, Julie, écrit une pièce de théâtre sur Poil de carotte. Elle convoque des personnages pour dénouer un nœud dramatique : Quelle est l’origine de cette enfance malheureuse dans la configuration parentale.
Le récit
Julie fait de la boxe, ça la défoule. Petite, elle tapait déjà sur une espèce de boudin dans la chambre, déversant avec rage une liste de sobriquets à chaque rafale de coups de poing. Elle, son surnom, c’est Bouboule. C’est sa mère qui lui a donné. Elle subit les violences maternelles et le laisser-faire de son père jusqu’à sa fugue.
La pièce nous invite à suivre deux vies parallèles : celle de Bouboule, Julie, et celle de Poil de Carotte, Jules Renard. Tout semble les séparer, et pourtant les maux et écorchures ressentis sont les mêmes, le sentiment d'être de trop, dépassés par quelques chose qui ne leur appartient pas.
NOTES D’INTENTION DRAMATURGIQUE par Agnès Pétreau
« Poil de Carotte, replay » est une réécriture de « Poil de Carotte ».
La relation à l’art constitue la colonne vertébrale du texte. C’est à partir de la rencontre du personnage de Julie avec l’œuvre de Jules Renard que le dispositif dramaturgique se met en place. Il s’organise autour de la problématique : l’enfant victime du règlement de compte parental.
Quand on parle de « Poil de Carotte » la thématique première et énoncée est la maltraitance. Il y a des gifles, de l’humiliation. On voit madame Lepic menacer son enfant de coup, l’enfermer dans sa chambre, le priver de nourriture, lui faire manger des épluchures, des ordures qui sont destinées aux lapins.
Poil de Carotte, loin d’être une victime, se débat. Le garçon a une force de caractère et une habilité à feindre qui lui permet de résister ou d’éviter ou de se glisser. Jules Renard a brossé le portrait d’un enfant vif, rusé, calculateur, pouilleux, malpropre. Tout le contraire d’un ange. Il fait face à ses peurs. Les chapitres se succèdent et le lecteur assiste à une série de pirouettes inventées par l’enfant pour déjouer les malveillances de sa mère.
Ce n’est qu’à la fin du récit que la révolte éclate : la confrontation avec sa mère. Puis Poil de Carotte se confie à son père « je n’aime pas ma mère ». Et le père lui répond quelques lignes plus loin « Et moi, crois-tu que je l’aime ».
Tout réside là. Et tout commence là.
Après la lecture de Poil de Carotte de Jules je me suis aperçu que quelque chose m’attachait à l’histoire. La fin était incroyable, violente aussi. Je voulais creuser le lien entre l’auteur et son personnage. Ce fut le début d’une longue recherche sur ce qui était arrivé à Jules Renard. Je me suis demandée, entre autres, si l’écriture de Poil de Carotte ne l’avait pas débarrassé ou réparé de son enfance cabossée ? Un acte résilient en soit. L’avait-il écrit pour cela ?
Mais l’auteur éprouve la nécessité, en 1900, d’y revenir et écrit la pièce « Poil de Carotte ». Il note dans son Journal « La délivrance n’était que partielle. Il restait du Poil de Carotte en moi ». Il écrit alors la pièce pour faire éclater la vérité. Il met en scène une discussion entre Poil de Carotte et Mr Lepic. Dialogue rêvé où il réinvente son père, le sacralise. Car en lisant Le Journal il décrit plutôt un homme taiseux, dont il cherchera en vain des signes d’affection et de reconnaissance. Dans cette pièce il veut en découdre avec son histoire familiale et l’origine de son malheur : la crise conjugale et lui au milieu. Le père confie son malheur à l’enfant. De sa mère, sur le sujet, nous ne saurons rien. Mais Le Journal nous renseigne un peu sur Mme Renard. Il écrit « Elle retrouve dans son fils le même homme muet qu’était son mari, de plus le mari reste invisible ».
Dans la pièce Monsieur Lepic dit : « Et elle n’est pas heureuse non plus ».
Poil de Carotte : « Comment elle n’est pas heureuse ? »
Monsieur Lepic : « Ce serait trop facile ».
Dans « Poil de Carotte, replay » je tisse un pont entre Jules Renard et le monde contemporain.
Comment ce récit fait-il écho aujourd’hui aux jeunes ?
Le personnage de Bouboule est une gamine de nos jours. La littérature comme le théâtre ont un pouvoir cathartique. La lecture de Poil de Carotte a déclenché chez elle une reconnaissance, un truc PAREIL dont la source est confuse.
En 1894 paraît « L’interprétation des rêves » de Sigmund Freud. Nous sommes dans cette période de la naissance de la psychanalyse. On s’interroge beaucoup sur l’inconscient. Renard dans son journal intime se conçoit comme double, parle de cet autre moi qui est lui-même. Et cet autre moi c’est peut-être Poil de carotte, c’est-à-dire cet être en lui, qui est lié à l’hérédité, au legs, ce qu’il n’a pas décidé d’être, ce que ses parents lui ont transmis.
L’invitation à une forme d’introspection dans l’histoire allait de soi. Des blessures lointaines se réveillent chez Julie et elle les accueille. Elle « veut que ÇA CESSE ». Dénouer les fils de son histoire familiale, de ce qui ne lui appartient pas et dont elle est le jouet et la victime, voilà l’enjeu. Comment guérir de sa famille ?